Une situation effroyable a fait couler beaucoup d’encre et de salice, au Bénin, en novembre 2024. Il s’agit du décès du jeune homme Fayçal Ouorou, survenu dans des conditions déplorables à Parakou, suite une interpellation par les agents de la police républicaine. En réaction à cette tragédie, le tiktokeur béninois Alain Kenneth s’est intéressé au code d’éthique et de déontologie de la Police républicaine. D’après lui, quand un citoyen interpellé verbalement tente de s’enfuir, l’article 27 dudit document autorise les agents de police à tirer sur lui. Mais, ce n’est pas vrai.
Les faits remontent dans la deuxième quinzaine du mois de novembre 2024. Le jeune Fayçal Ouorou rend l’âme, suite à une interpellation policière. L’affaire a tellement animé la toile à tel point que la Police républicaine a dû sortir un communiqué. Elle a confirmé l’information sans donner des détails précis sur les conditions du décès du jeune homme. « Dans la nuit du lundi 18 au mardi 19 novembre 2024, la patrouille du commissariat du 2ème arrondissement de Parakou a entrepris d’interpeller le sieur OUOROU GANI Samba Fayçal au quartier Nima. Au cours de cette interpellation qui n’a pas été conduite dans les règles de l’art par l’équipe de fonctionnaires de Police commis à cette mission de sécurité, ce citoyen a malencontreusement perdu la vie », a communiqué l’institution policière le 22 novembre 2024 sur sa page officielle Facebook.
Furieuse réaction du gouvernement
La réaction du gouvernement a été portée par le ministre de l’intérieur et de la sécurité publique. Alassane Seidou regrette la situation tout en condamnant les bavures policières. Dans des propos forts de sens, il a tenté de rappeler à l’ordre les agents de police. « Désormais, un agent qui va se rendre coupable de la mort d’un paisible ou d’un honnête citoyen doit pouvoir répondre. 60 jours d’arrêt de rigueur, il va passer devant le conseil de discipline qui prononcera sa radiation, sans tenir compte de la peine pénale qui sera prononcée par le juge », avait déclaré le ministre à l’époque.
Environ une semaine après le communiqué de la Police républicaine, le procureur de la République près le tribunal de Parakou s’est prononcé sur l’affaire. Dans son communiqué de presse donné le 27 novembre 2024, celui-ci a apporté plus de clarifications. Ses propos ont été rapportés sur le site officiel du ministère de la justice. « Le décédé n’a jamais été victime d’un accident de circulation mais plutôt de bastonnade par des agents de police », fait-il savoir.
Les fausses explications d’Alain Kenneth
Les réactions fusaient de toutes parts et ont continué sur plusieurs jours. Nombreux ont été ceux qui se sont intéressés à la disparition tragique de Fayçal Ouorou. C’est également le cas d’Alain Kenneth considéré parmi les influenceurs des réseaux sociaux au Bénin. C’est d’ailleurs dans un live TikTok qu’il a fait son déballage. Il a tenté d’expliquer l’article 27 du Code d’éthique et de déontologie de la Police républicaine. « Le fonctionnaire de la police républicaine préserve de toute forme de violence et de tout traitement cruel, inhumain ou dégradant toute personne appréhendée et placée sous la protection. Pour la recherche des preuves d’un crime ou d’un délit, le fonctionnaire de la Police républicaine ne procède à une fouille dévêtue d’une personne que si la palpation ou l’utilisation des moyens de détection électronique ne peuvent être réalisées. Le fonctionnaire de la Police républicaine ayant la garde d’une personne appréhendée est attentif à son état physique et psychologique et prend toutes les mesures possibles pour préserver sa vie, sa santé et sa dignité. L’utilisation des objets de sûreté n’est justifiée que lorsque la personne appréhendée est considérée soit comme dangereuse pour autrui ou pour elle-même, soit comme susceptible de tenter de s’enfuir », peut-on lire dans le document officiel de la Police républicaine.
C’est bien de cet extrait du Code d’éthique et de déontologie de la Police républicaine que Alain Kenneth s’est mêlé. Le Tiktokeur béninois a tenté de sensibiliser ses abonnés et autres internautes. Sauf qu’il s’y est mal pris. « Si des agents de police tentent de vous arrêter et que vous essayez de fuir, ils peuvent utiliser tous les moyens nécessaires pour vous arrêter. Cela inclut la possibilité de faire usage de leurs armes à feu ou de poser d’autres actes. Donc s’ils vous arrêtent et vous font n’importe quoi, ne pensez pas que vous iriez réclamer quoique ce soit. Même si les choses se passent d’une façon ou d’une autre, ils (les policiers) vont tout juste se justifier et puis c’est tout… Il arrive parfois qu’un automobiliste sans casque ou un citoyen perde la vie lors d’une course-poursuite avec la police. Si ces gens ne prenaient pas la fuite, personne ne mourrait. », a déclaré Alain Kenneth en langue fongbé dans sa vidéo en novembre 2024. Beaucoup auraient pu prendre ses propos pour acquis, mais il est important de souligner que son explication est fausse.
« Garantir que chaque personne soit traitée avec respect et humanité »
Interpellé par cette vidéo, Bénin Check a cherché à comprendre véritablement ce que stipule concrètement l’article 27 du Code d’éthique et de déontologie de la Police républicaine. Jeanis Loukakou est un consultant juridique et RH. Il a d’abord rappelé que « dans le cadre de son engagement envers le respect des droits humains, le décret n° 2018-356 du 25 juillet 2018 portant code d’éthique et de déontologie de la Police républicaine, spécifiquement l’article 27, impose des règles strictes concernant le traitement des personnes appréhendées ». D’entrée, le juriste va à l’encontre du commentaire d’Alain Kenneth. Contrairement à ce dernier, le juriste fait savoir que « selon cet article, un fonctionnaire de la Police républicaine doit préserver toute personne sous sa garde de toute forme de violence, de traitement cruel, inhumain ou dégradant. Ce principe fondamental vise à protéger la dignité des individus, quels que soient les faits pour lesquels ils sont interpellés. L’objectif est clair : garantir que chaque personne soit traitée avec respect et humanité ».
Jeanis Loukakou ne s’en est pas arrêté là. Il a donné de plus amples explications sur ce passage de Code d’éthique et de déontologie de la Police républicaine. « En ce qui concerne la fouille des individus, l’article précise que la fouille dévêtue ne peut être réalisée que si des alternatives, telles que la palpation ou l’utilisation d’équipements de détection électronique, sont impossibles. Une règle qui permet de limiter l’intrusion dans la vie privée des personnes, renforçant ainsi leur dignité. De plus, le décret met en évidence la responsabilité des policiers de veiller à l’état physique et psychologique des personnes en garde à vue. Ils doivent prendre toutes les précautions nécessaires pour protéger la santé, la sécurité et la dignité de ces individus, soulignant l’importance de leur prise en charge humanitaire. Enfin, l’article stipule que l’utilisation d’objets de sûreté, tels que les menottes, n’est justifiée que dans des situations où la personne représente un danger pour elle-même ou pour autrui, ou encore en cas de risque de fuite. Cette restriction vise à limiter les abus potentiels et à garantir que les interventions policières soient proportionnées à la situation. Avec ces dispositions, le décret n° 2018-356 et son article 27 incarnent un engagement fort du Bénin pour un respect scrupuleux des droits humains dans l’action policière. Ce cadre éthique renforce la confiance du public tout en assurant la sécurité et le bien-être des individus interpellés », a-t-il longuement expliqué. Voilà qui est clair.
Geoffroy Kiantaga, un juriste, s’est également prononcé sur le sujet. Il a expliqué les notions de “personnes appréhendées” et “d’objets de sûretés” évoqués dans ledit décret portant code de déontologie. Selon lui, une personne appréhendée est “une personne déjà arrêtée”. De plus, il ajoute que les “objets de sûreté” ne sont pas à confondre avec “l’utilisation de l’arme contre un citoyen”. “L’utilisation des mesures de sûreté vise à protéger le citoyen arrêté et non de le tuer”, a-t-il ajouté.
Verdict
Les explications de l’article 27 du code d’éthique et de déontologie de la Police républicaine, faites par Alain Kenneth, sont fausses. A aucun moment, il n’est dit que des agents de police peuvent tirer sur un citoyen qu’ils ont appréhendé.
Cette vérification a été effectuée et l’article a été rédigé puis publié par Voldi HOUNVIO.


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